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Critères de participation aux débats des chefs pour la 44e élection générale

I. Introduction

La Commission des débats des chefs (la « Commission ») a pour mandat de fixer les critères de participation aux débats des chefs et de veiller à ce que le chef de chaque parti politique respectant ces critères soit invité à participer aux débats.

Après consultation des partis politiques enregistrés, des intervenants et du public et l'examen des critères de sélection appliqués au fil du temps, la Commission a établi les critères de participation dont elle se servira pour inviter les chefs à ces débats lors de la prochaine élection générale.

Ce document présente les critères de participation fixés à cette fin par la Commission ainsi que la justification de ces critères par cette dernière.

Pour être invité par la Commission à participer aux débats des chefs, le chef d'un parti politique doit répondre à l'un des critères suivants :

i) à la date du déclenchement de l'élection générale, le parti est représenté à la Chambre des communes par un député qui a été élu en tant que membre de ce parti; ou

ii) les candidats du parti ont obtenu lors de l'élection générale précédente au moins 4 % du nombre de votes validement exprimés; ou

iii) cinq jours après la date du déclenchement de l'élection générale, le parti récolte un soutien national d'au moins 4 %, déterminé par les intentions de vote et mesuré par les principales firmes nationales de sondage d'opinion, en utilisant la moyenne des derniers résultats publiés par ces firmes.

II. Les tâches et le mandat

La Commission a pour mandat d'organiser deux débats (un en français et un en anglais) lors de la prochaine élection générale fédérale.

Dans le cadre de son mandat, la Commission doit désigner les chefs de parti qui seront invités à ces débats, comme le prévoit le décret C.P. 2018-1322 du 29 octobre 2018, modifié par le décret C.P. 2020-871 du jeudi 5 novembre 2020 (le « décret »).

Les sections pertinentes du décret qui définissent le mandat de la Commission sont les suivantes :

Attendu qu'il est souhaitable que les débats des chefs soient efficaces et informatifs, qu'ils suscitent l'intérêt et qu'ils profitent de la participation des chefs qui sont les plus à même de devenir premier ministre ou dont le parti politique est le plus à même de remporter des sièges au Parlement;

Attendu qu'il est souhaitable que les débats des chefs soient organisés selon des critères de participation clairs, ouverts et transparents;

[…]

Le mandat de la Commission est :

b) d'établir des critères de participation aux débats des chefs et de veiller à ce que le chef de chaque parti politique qui répond à ces critères soit invité à participer aux débats;

b.1) de rendre publics ces critères :

(i) pour une élection générale tenue conformément au paragraphe 56.1(2) de la Loi électorale du Canada, au plus tard le 30 juin précédant le jour visé à ce paragraphe,

(ii) pour une élection générale qui n'est pas tenue conformément au paragraphe 56.1‍(2) de la Loi électorale du Canada, au plus tard sept jours après la délivrance des brefs;

La Commission a entrepris cette tâche en tenant compte : 1) des critères de participation aux débats des chefs appliqués dans le cadre des élections fédérales par le passé; 2) des critères de participation de 2019; et 3) des documents de politique publique existants sur les critères de participation et des soumissions des parties prenantes, y compris les chefs de tous les partis politiques enregistrés, les médias et le public.

À la suite de ce processus, la Commission a élaboré des principes pour guider sa préparation de ces critères.

III. Contexte et aspects à prendre en compte

A. Critères de participation aux débats des chefs appliqués dans le cadre des élections fédérales par le passé

Depuis 1968, les débats télévisés des chefs au Canada ont été organisés par différentes d'entités. Pour toutes les campagnes électorales depuis lors, un ensemble relativement cohérent de critères de participation a été appliqué pour déterminer quels chefs de partis politiques seraient invités à participer à ces échanges. Toutefois, comme l'a noté la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis de 1992 (la « Commission Lortie »), il a été « difficile de parvenir » à un accord sur ces critères et d'autres questions à chaque élection.

Un résumé des critères de participation utilisés par le passé pour sélectionner les chefs qui participeraient aux débats a été produit en 2016 par le rapport de l'Institut de recherche en politiques publiques et de l'Université Carleton, intitulé The Future of Leaders' Debates in Canadian Federal The Future of Leaders' Debates in Canadian Federal Elections (disponible en anglais seulement), à la suite d'un colloque de 2015 qui a réuni des intervenants et des universitaires. Le rapport a examiné les critères établis par le consortium de diffusion qui a produit les débats des chefs de 2015. Selon le rapport, pour être invités au débat de 2015, les partis devaient :

  • compter des députés élus à la Chambre des communes;
  • avoir l'intention de présenter des candidats dans toutes ou presque toutes les circonscriptions;
  • avoir une chance de remporter des sièges (comme en témoignent l'historique des sondages et les résultats précédents);
  • être présents dans le dialogue politique quotidien;
  • disposer d'un programme complet;
  • tenir compte des compétences linguistiques de chaque chef pour les débats dans la langue concernée;
  • avoir un chef de parti désigné.

Ces critères, que le rapport qualifie de « largement appropriés (mais qui doivent prévoir des dispositions pour des circonstances exceptionnelles) », exigeaient qu'un parti politique ait à la fois prouvé son succès électoral lors d'une élection précédente et sa probabilité de succès électoral lors de l'élection en cours. La Commission note également que ces critères contenaient des éléments à la fois objectifs et subjectifs.

B. Critères de participation de 2019

En 2018, le gouvernement du Canada a annoncé la création de la Commission des débats des chefs chargée d'organiser les débats des chefs avec pour « objectif de faire des débats un volet plus prévisible, fiable et stable des campagnes électorales fédérales ». Pour l'élection de 2019, la Commission a reçu pour mandat de sélectionner les chefs de parti qui seraient invités à participer aux débats qu'elle organisait. Cette invitation était fondée sur l'application des critères de participation énoncés dans le décret C.P. 2018-1322. Si les critères de 2019 présentent des similitudes avec les critères employés par le consortium de 2015, ils sont moins contraignants dans la mesure où ils n'exigent pas de succès électoral antérieur. Ils comprennent également des éléments objectifs et subjectifs. En d'autres termes, pour un critère donné, des intervenants raisonnables peuvent parvenir à des conclusions différentes sur le fait que certains partis politiques répondront ou non à ce critère.

À la suite de consultations, la Commission a publié son interprétation des critères de 2019 contenus dans le décret C.P. 2018-1322 et conclut ce qui suit :

« L'application des critères de participation obligatoires comporte des éléments tant objectifs que subjectifs.

Bien que le décret énonce ce qui semble être trois critères à interpréter et à appliquer, ceux-ci peuvent en fait être répartis comme suit :

Critère i) : le parti est représenté à la Chambre des communes par un député ayant été élu à titre de membre de ce parti;

Critère ii) : il a l'intention, de l'avis du commissaire aux débats, de soutenir des candidats dans au moins 90 % des circonscriptions électorales en vue de l'élection générale en cause.

Critère iii) :

a. ses candidats ont obtenu, lors de l'élection générale précédente, au moins 4 % du nombre de votes validement exprimés;

b. les candidats qu'il soutient ont une véritable possibilité d'être élus lors de l'élection générale en cause, de l'avis du commissaire aux débats, compte tenu du contexte politique récent, des sondages d'opinion publique et des résultats obtenus aux élections générales précédentes. »

La Commission constate que si les critères i) et iii)(a) ne nécessitent pas une évaluation approfondie parce qu'ils sont basés sur l'examen de données probantes objectives, les critères ii) et surtout iii)(b), en revanche, exigent une évaluation plus poussée.

Par conséquent, en ce qui concerne le critère iii)(b), la Commission a décidé qu'elle tiendrait compte du « contexte politique récent, des sondages d'opinion publique et des résultats obtenus aux élections générales précédentes » pour établir une série de facteurs, à savoir :

  • les données probantes fournies par le parti en cause concernant ce critère;
  • la position actuelle dans les sondages d'opinion publique nationaux et les tendances qui s'en dégagent;
  • les résultats des sondages menés dans les circonscriptions, qu'ils soient publics ou menés à l'interne par le parti, s'ils sont fournis à titre de données probantes par le parti, et les projections par circonscription;
  • les renseignements reçus d'experts et d'organisations politiques au sujet de la situation dans certaines circonscriptions;
  • les résultats obtenus par les partis et les candidats aux élections précédentes;
  • la présence et la visibilité du parti ou de son chef, ou les deux, dans les médias à l'échelle nationale;
  • le fait qu'un parti représente une tendance ou un mouvement politique contemporain ou qu'il y est sensible;
  • les résultats des élections partielles fédérales tenues depuis la dernière élection générale;
  • le nombre de membres du parti;
  • les fonds recueillis par le parti.

En fin de compte, dans son interprétation du critère iii)(b), la Commission conclut que son principal critère pour décider d'inviter ou non un chef de parti particulier serait fondé sur l'évaluation de la probabilité raisonnable que plus d'un candidat de ce parti soit élu.

Lorsque la Commission a appliqué les critères de 2019, cette application a été simple dans le cas de cinq des partis politiques. Aucune de ces cinq invitations n'a nécessité que la Commission interprète ou applique le critère iii)(b).

Par conséquent, la Commission a invité les dirigeants de ces partis le 12 août 2019, soit près de deux mois avant les débats, à participer aux débats.

Toutefois, une évaluation plus poussée a été requise pour déterminer s'il fallait inviter un sixième parti politique, soit le Parti populaire du Canada (PPC). Plutôt que d'inviter le chef du PPC en août en même temps que les cinq autres chefs, la Commission a cherché à obtenir des renseignements supplémentaires et plus à jour, y compris auprès du PPC et de sondages d'opinion, avant de déterminer si plus d'un candidat du PPC avait une véritable possibilité d'être élu. Plus particulièrement, la Commission a demandé au PPC de soumettre une liste de trois à cinq circonscriptions qui, selon lui, étaient les plus susceptibles d'élire un de ses candidats. La Commission a finalement conclu que le PPC comptait plus d'un candidat susceptible d'être élu. Pour prendre cette décision, elle s'est basée sur un sondage d'opinion publique selon lequel plus de 25 % des répondants ont manifesté leur intention de songer à voter pour le PPC dans plusieurs circonscriptions électorales. Ainsi, elle a invité le chef du PPC à participer aux débats du 16 septembre 2019.

À la suite de l'élection de 2019, la Commission a confié à Nanos Research le soin d'entreprendre un examen de l'interprétation par la Commission des critères de participation énoncés dans le décret. Le rapport de Nanos Research, intitulé « Examen de la norme relative à la participation aux débats », observe que le « jour des élections, le PPC n'était compétitif (2e) que dans une seule circonscription (la Beauce). En fait, sa présence dans toutes les circonscriptions n'a même pas eu d'impact sur le choix du candidat gagnant dans chaque circonscription remportée par un pourcentage plus élevé que la part des votes du PPC ». La part des votes dans ces cinq circonscriptions variait de 2,0 % à 5,2 %. À l'échelle nationale, le PPC a obtenu 1,6 % des voix et aucun siège à la Chambre des communes.

C. Documents de politique publique, consultations et contributions examinés par la Commission

Afin de déterminer les critères de participation à la prochaine élection générale, la Commission a entrepris l'examen d'une série de consultations sur le sujet des critères de participation aux débats. Elle a examiné un certain nombre de rapports de groupes de réflexion, du gouvernement du Canada, du Parlement du Canada et de la Commission elle-même.

Elle a également passé en revue les consultations antérieures qu'elle a entreprises avant et après l'élection générale de 2019 et en a lancé de nouvelles en tenant compte de son mandat actuel. Ces nouvelles consultations ont notamment consisté à solliciter les points de vue de tous les partis politiques enregistrés et admissibles et du public. Dans le cadre de son processus de consultation, la Commission a indiqué qu'elle avait l'intention d'examiner les documents suivants et a sollicité toute rétroaction à leur sujet :

La Commission a reçu des mémoires du public, ainsi que du Bloc québécois, du Parti de l'héritage chrétien du Canada, du Parti conservateur du Canada, du Parti vert du Canada, du Parti libéral du Canada, du Parti Marijuana, du Parti marxiste-léniniste du Canada, du Nouveau Parti démocratique, du Parti Rhinocéros et du Parti populaire du Canada.

Un examen de tous ces mémoires a permis de dégager les thèmes suivants :

  • Les critères de participation particuliers ne font pas consensus. Toutefois, à l'exception de certains petits partis politiques, le soutien est presque unanime pour établir des critères qui incluraient des partis politiques enregistrés et en excluraient d'autres. D'après les contributions reçues, la Commission a constaté que presque personne ne soutenait la proposition selon laquelle tous les partis politiques enregistrés devraient être présents sur scène lors des débats télévisés des chefs.
  • Certains intervenants intéressés, comme les médias et les partis politiques, ont des points de vue précis sur le seuil à fixer quant au nombre de chefs à faire monter sur scène. Certains médias suggèrent que les débats ne devraient inclure que les chefs les plus susceptibles de devenir premier ministre. Dans leur mémoire, tous les partis politiques, sans exception, laisse entendre que la Commission devrait fixer des critères garantissant l'inclusion de leur propre parti.
  • Le consensus parmi ceux qui n'appartiennent pas aux médias ou à un parti politique est que la Commission devrait viser à être inclusive plutôt qu'exclusive, dans le but d'inviter des chefs susceptibles de jouer un rôle important dans l'élaboration des politiques publiques. En d'autres termes, le choix des chefs à inviter devrait se concentrer sur la représentation potentielle au Parlement et non sur celui qui a le plus de chances d'être élu premier ministre. À cet égard, la Commission a reçu des observations selon lesquelles le Canada n'a pas de système présidentiel, mais plutôt un système parlementaire, et que les débats des chefs devraient donc mettre en lumière les chefs des partis politiques susceptibles de jouer un rôle important dans l'élaboration des politiques publiques en remportant des sièges au Parlement.
  • Dans la mesure possible, les critères de participation aux débats fixés par la Commission doivent être simples, transparents et objectifs. Le « débat sur les débats », c'est-à-dire la discussion qui a eu lieu lors de nombreuses élections passées pour savoir qui est invité à participer aux débats des chefs et pourquoi, ne contribue guère à informer les électeurs sur les partis politiques et leurs politiques. Il risque également d'aliéner les électeurs ou d'accroître leur méfiance à l'égard des institutions démocratiques lorsque les décisions relatives à la participation sont prises à huis clos.
  • L'utilisation de critères de participation du public en 2019 a été considérée comme un pas en avant pour l'organisation du débat, mais dont les avantages n'ont pas été pleinement réalisés parce que certains des critères étaient subjectifs et ouverts à l'interprétation.
  • Les résultats de l'élection précédente sont l'un des facteurs les plus importants pour déterminer si le chef d'un parti politique doit être invité à participer aux débats lors de l'élection générale suivante. Il existe un consensus sur le fait que l'élection d'un député sous la bannière d'un parti confère à ce dernier le statut d'une présence notable dans le dialogue politique quotidien et dans l'élaboration des politiques au Parlement.
  • La Commission a aussi entendu des points de vue selon lesquels il est possible pour un parti d'obtenir un nombre appréciable de votes de la part des Canadiens, mais de ne pas élire de députés en raison du système électoral uninominal majoritaire à un tour du Canada, et que les critères de participation aux débats devraient en tenir compte en n'excluant pas un chef dont le parti n'a obtenu aucun siège. La Commission a pris note des commentaires indiquant que, lorsqu'un parti est potentiellement exclu des débats en raison des résultats d'élections précédentes, la Commission ne devrait pas seulement tenir compte du nombre de sièges gagnés ou perdus par le parti politique lors de cette élection précédente, mais également du nombre de votes reçus par celui-ci.
  • Les critères de participation aux débats ne devraient pas exiger exclusivement des succès électoraux passés. Au contraire, ils doivent tenir compte de la possibilité de l'émergence de nouveaux partis politiques. Tous s'accordent à dire que les sondages d'opinion qui mesurent l'intention des électeurs à l'approche des débats pourraient servir à déterminer si un parti politique qui n'a pas eu de succès électoral lors de l'élection précédente a une présence marquée dans le paysage politique et une probabilité raisonnable de contribuer de manière tangible à l'élaboration des politiques publiques en remportant des sièges au prochain Parlement.
  • Le Canada a une histoire de partis politiques tant nationaux que régionaux, et les critères de participation au débat devraient viser à prendre ces deux aspects en compte.

IV. Discussion et analyse

A. Principes directeurs

La Commission a élaboré une série de principes directeurs pour décider des critères de participation aux débats, lesquels découlent de l'application des critères de participation aux débats au Canada dans le passé, des thèmes généraux qui se dégagent des consultations et des contributions examinées, ainsi que du décret, y compris les dispositions suivantes :

Préambule : « il est souhaitable que les débats des chefs soient efficaces et informatifs, qu'ils suscitent l'intérêt et qu'ils profitent de la participation des chefs qui sont les plus à même de devenir premier ministre ou dont le parti politique est le plus à même de remporter des sièges au Parlement »;

Préambule : « il est souhaitable que les débats des chefs soient organisés selon des critères de participation clairs, ouverts et transparents »;

Article 3d) « les décisions concernant l'organisation des débats des chefs, y compris celles portant sur les critères de participation, soient rendues publiques rapidement »;

Article 4 : « la Commission est guidée par la poursuite de l'intérêt public et par les principes de l'indépendance, de l'impartialité, de la crédibilité, de la citoyenneté démocratique, de l'éducation civique, de l'inclusion et de l'efficacité financière ».

En synthétisant ces principes directeurs, nous concluons que les critères devraient, dans la mesure du possible,

  • être simples;
  • être clairs;
  • être objectifs;
  • permettre la participation des chefs des partis politiques qui ont le plus de chances de remporter des sièges à la Chambre des communes.

B. Incidence des critères de participation : Objectif de la Commission

La Commission reconnaît que sa décision d'établir les critères de participation risque de mettre en cause la liberté d'expression et le droit de vote protégés par la Charte canadienne des droits et libertés. Dans le cadre de cette démarche, elle est guidée par ses objectifs énoncés dans le décret et par la façon dont les valeurs concernées de la Charte seront protégées le plus efficacement compte tenu de ses objectifs.

Premièrement, la Commission estime que, tant pour les chefs des partis politiques que pour les électeurs, la liberté d'expression et le droit de vote garantis par la Charte sont engagés dans sa détermination des critères de participation. La liberté d'expression protège non seulement la personne qui exprime le message, mais aussi le destinataire. Si les partis politiques sont exclus, leur liberté d'expression est engagée. Le droit des électeurs en tant que destinataires de leur message et le droit d'être effectivement informés grâce aux débats sont également engagés.

Deuxièmement, le mandat de la Commission, selon le décret, est de concevoir des débats qui « sont efficaces et informatifs, [...] suscitent l'intérêt et [...] profitent de la participation des chefs qui sont les plus à même de devenir premier ministre ou dont le parti politique est le plus à même de remporter des sièges au Parlement ».

La Commission interprète ce mandat comme ayant deux parties liées : a) elle se limite à inviter les chefs des partis politiques qui ont le plus de chances de remporter des sièges au Parlement ou dont le chef a le plus de chances de devenir premier ministre; et b) elle doit concevoir des débats efficaces, informatifs et convaincants pour aider les électeurs à prendre une décision éclairée sur leur vote.

En ce qui concerne la première partie, l'objectif est intrinsèquement incompatible avec l'inclusion de tous les partis politiques dans les débats des chefs. Tous les partis n'ont pas la même probabilité de remporter des sièges au Parlement. La Commission doit décider comment elle déterminera la probabilité de remporter des sièges au Parlement et à quel niveau fixer ce seuil.

Sur le second volet, la Commission veille à ce que les débats soient efficaces pour informer les électeurs. Comme le souligne la Commission Lortie, les débats « attirent un large public. Ils stimulent l'intérêt pour la politique, aident les électeurs à déterminer les enjeux fondamentaux de la campagne, sensibilisent les partis et les chefs et contribuent à légitimer les institutions politiques ».

La question qui se pose à la Commission des débats des chefs est de savoir comment établir le seuil ou la limite de participation qui permet le mieux de remplir le mandat de veiller à ce que les Canadiens soient informés sur les partis politiques les plus susceptibles d'être élus et, par conséquent, de contribuer au débat sur les politiques publiques à la Chambre des communes, tout en assurant la protection des valeurs protégées par la Charte, tant des électeurs que des chefs.

La Commission revient sur son analyse de cet équilibre dans son raisonnement ci-dessous.

C. Facteurs pertinents

Dans le cadre de son processus de consultation et d'examen, la Commission a retenu les deux facteurs suivants comme pertinents pour déterminer les partis politiques susceptibles de participer aux débats des chefs :

  1. Historique du soutien aux partis politiques : les indicateurs d'antécédents d'un parti politique, comme ses résultats électoraux antérieurs, doivent-ils constituer un critère? Dans l'affirmative, quel est le seuil approprié et quelles données probantes doivent être utilisées? Et
  2. Renseignements actuels et futurs sur le soutien aux partis politiques : les indicateurs de la popularité et de la pertinence d'un parti politique, ainsi que son potentiel de soutien électoral futur par l'obtention de sièges à la Chambre des communes, doivent-ils être un critère? Dans un tel cas, quel est le seuil approprié et quelles sont les données probantes à utiliser?

Sur la base de l'examen par la Commission des consultations et des rapports susmentionnés et de sa propre expertise, la Commission est d'avis que les points 1 et 2 sont pertinents et conclut que des critères de participation au débat devraient être établis pour mesurer à la fois les antécédents d'un parti politique et son niveau de soutien électoral actuel et futur. Cette conclusion se fonde sur l'accord de la Commission avec les points de vue exprimés lors des consultations et dans les rapports, selon lesquels les points a) et b) peuvent servir à évaluer si un parti politique est susceptible de jouer un rôle important dans l'élaboration des politiques en remportant des sièges à la Chambre des communes. En outre, une telle approche est conforme à l'application des critères de participation au débat au Canada par le passé.

La Commission s'est demandé si un parti politique devait être tenu de démontrer qu'il remplit les critères relatifs à ces deux éléments, ou seulement l'un ou l'autre. Lors des élections précédentes, un parti politique était souvent tenu d'avoir à la fois des antécédents historiques et des indications de soutien actuel ou futur. Les critères fournis à la Commission en 2019 n'imposaient pas une telle exigence et permettaient la participation d'un chef de parti qui ne répondait qu'à l'un ou l'autre de ces éléments. La Commission conclut que les partis politiques devraient uniquement être tenus de répondre aux critères de l'un ou l'autre, et non des deux. Cette mesure permet, d'une part, la participation éventuelle d'un parti politique nouvellement créé qui pourrait ne pas être en mesure de satisfaire aux critères fondés sur un dossier historique et, d'autre part, la participation d'un parti politique ayant un dossier historique avéré.

Après avoir décidé que les antécédents historiques et le soutien actuel sont importants pour déterminer s'il convient d'inviter le chef d'un parti politique aux débats des chefs, la Commission doit maintenant décider comment chacun de ces critères sera appliqué.

1. Dossier historique

Un critère de participation aux débats qui évalue les antécédents d'un parti politique doit tenir compte du consensus selon lequel les succès électoraux passés confèrent de la pertinence à un parti politique, de sorte qu'on s'attend à ce que le chef de ce parti participe aux débats des chefs lors de la prochaine élection.

La Commission a examiné les facteurs qu'elle devrait utiliser pour évaluer les antécédents d'un parti politique, y compris sa longévité historique, le nombre de candidats présentés lors des élections précédentes et ses antécédents de réussite électorale. Toutefois, en ce qui concerne la longévité historique et le nombre de candidats présentés, une analyse de ces deux facteurs lors d'élections antérieures révèle qu'un parti politique peut afficher un long parcours et un nombre élevé de candidats sans faire élire de député et ainsi ne pas contribuer à l'élaboration des politiques à la Chambre des communes. La Commission conclut que ces critères ne sont donc pas appropriés. À l'inverse, elle considère que la meilleure mesure du bilan historique d'un parti politique est son résultat électoral.

La Commission est donc d'avis que l'un des critères d'évaluation des antécédents devrait être de savoir si un parti a élu un ou plusieurs députés sous sa bannière à la date à laquelle une élection est convoquée. En ce qui concerne le seuil du nombre de députés, elle estime qu'un député est suffisant. Cette pratique est acceptée depuis longtemps, et ce seuil est un minimum applicable quant au nombre de sièges gagnés et est approprié à cette échelle. Pour parvenir à cette conclusion, la Commission considère également que l'élection d'un député sous la bannière d'un parti est un critère valable tant pour les partis nationaux que régionaux.

La Commission est également d'avis que l'historique d'un parti politique devrait être reconnu si ce dernier est en mesure de démontrer un certain degré de succès électoral, même si cela ne se traduit pas par l'élection d'un député sous sa bannière. C'est pourquoi elle a adopté un seuil de 4 % des votes valides exprimés lors de l'élection précédente. Ce seuil s'explique par les raisons suivantes. La première est qu'il est conforme aux usages passés : la Commission a appliqué cette même métrique en 2019. Deuxièmement, la Commission a examiné comment les résultats des élections passées ont influencé la décision des organisateurs des débats précédents d'inviter des chefs et comment ces décisions ont été reçues par le public canadien. Plus particulièrement, elle a estimé que les décisions d'inviter ou non le Parti vert de 2006 à 2011 étaient informatives et pertinentes pour son analyse. La chef de ce parti est invitée à participer au débat du consortium en 2008, ayant reçu 4,5 % des votes valides exprimés en 2006 et ayant un député au Parlement au moment du déclenchement de l'élection (mais qui n'a pas été élu sous la bannière du parti). En revanche, la chef n'a pas reçu d'invitation en 2011, bien que le parti ait obtenu 6,8 % des votes valides exprimés en 2008. Le consortium a été très critiqué par le public pour l'exclusion de la chef du Parti vert du Canada de ces débats de 2011, ce qui démontre que la décision de l'inclure en 2008 correspondait davantage aux attentes des Canadiens en matière de participation aux débats. La Commission en déduit que les Canadiens pensaient qu'à ce niveau de soutien populaire, le Parti vert du Canada avait une probabilité raisonnable de contribuer au débat sur les politiques publiques en remportant des sièges au Parlement et que, par conséquent, sa chef devait être incluse dans les débats des chefs.

Enfin, la Commission a reçu des commentaires d'un parti politique qui a fait valoir que l'admission aux futurs débats pour un parti politique nouvellement créé ne devrait pas être aussi difficile qu'elle l'a été pour les partis politiques dans le passé. La Commission est d'accord avec ce point de vue et déduit qu'il n'est pas nécessaire qu'un parti politique ait un député élu pour être invité aux débats des chefs s'il est en mesure de démontrer un soutien électoral, comme indiqué ci-dessous.

2. Renseignements actuels et futurs sur le soutien aux partis politiques

La Commission est d'accord avec le consensus dégagé des consultations selon lequel les critères de participation devraient reconnaître l'émergence de nouveaux partis politiques et la participation de leur chef aux débats.

Elle a examiné comment l'émergence de nouveaux partis politiques et la participation ont été prises en compte dans les critères de 2019. En 2019, les critères ont permis à la Commission de prendre en compte le « contexte politique récent » et la « chance légitime » des candidats d'être élus, comme détaillé ci-dessus. La Commission n'a pas été satisfaite de ces indices. Dans son rapport au Parlement après l'élection de 2019, elle conclut ce qui suit :

Chacun de ces éléments a permis aux analystes de tirer des conclusions différentes quant à savoir si un parti répondait ou non au critère énoncé. La Commission a tenu compte d'un éventail de données à l'appui des conclusions qu'elle a tirées pour l'interprétation des critères tels que présentés. Néanmoins, ce travail d'interprétation, conjugué à la nécessité de recueillir des données probantes sur l'admissibilité, n'a pas mené à un processus entièrement satisfaisant.

La Commission a donc entrepris de fixer des critères de participation pour les niveaux de soutien actuels et futurs qui soient aussi simples, clairs et objectifs que possible.

Pour ce faire, elle considère que les sondages d'opinion publique mesurant les intentions de vote cinq jours après la date du déclenchement de l'élection générale constituent un paramètre approprié. En effet, selon elle, ce délai est adéquat en raison de sa simplicité et de sa transparence, en accord avec le décret et ses principes directeurs. Il permet également d'équilibrer la nécessité pour la Commission d'avoir accès aux données les plus récentes afin d'évaluer si les partis politiques satisfont aux critères de participation aux débats, et la nécessité de veiller à ce que le producteur des débats dispose de suffisamment de temps pour produire un débat de haute qualité, comme l'exige le décret, et à ce que les partis politiques soient en mesure de se préparer correctement afin de veiller à ce que les débats informent convenablement les Canadiens.

Une grande part des contributions reçues par la Commission établit que de 4 à 5 pour cent était un seuil approprié, et ce, pour un certain nombre de raisons. D'abord, d'après l'analyse menée dans le cadre du rapport de la Commission au Parlement de 2019, « une part des votes inférieure à 5 % au niveau national a peu de chances de faire élire un candidat ». Puis, ce seuil d'intention de vote est en étroite corrélation avec les quatre pour cent de votes obtenus dans l'un des critères décrits dans le dossier historique (critère ii). La Commission estime que la fixation d'un seuil plus élevé pour les intentions de vote, comme 5 % dans les sondages, pourrait tenir compte du fait que tous les soutiens indiqués dans un sondage ne se traduisent pas par des votes réels. Toutefois, dans le but d'établir des règles du jeu équitables entre les partis politiques établis et les partis émergents, elle considère que le seuil des intentions de vote doit correspondre au seuil fixé pour les données historiques. La Commission détermine aussi que, selon l'historique électoral, l'établissement d'un seuil de 4 % d'intentions de vote à l'échelle nationale permettrait de saisir les intentions de vote d'un important parti politique régional émergent, autorisant ainsi son chef à se qualifier.

Pour ces deux motifs, les résultats électoraux sont considérés comme le facteur motivant le critère, mais ce facteur n'est pas le seul que la Commission a entendu lors de ses consultations. Certains intervenants ont plutôt exprimé l'avis qu'un seuil de 4 à 5 % démontre que le parti et son chef ont une présence notable dans le dialogue politique quotidien à ce moment précis. La Commission conclut que les partis dont le chef a cette présence ont une probabilité raisonnable de contribuer au débat sur les politiques publiques en remportant des sièges à la Chambre des communes.

En réponse à la demande d'observations de la Commission, certains partis politiques ont proposé d'autres paramètres pour établir les critères de participation au débat. En particulier, ils ont suggéré que la Commission établisse un critère qui fixe un seuil pour le nombre de candidats soutenus par un parti; si un parti soutient plus de 170 candidats, par exemple, il pourrait participer au débat. Toutefois, selon la Commission, ce critère est insuffisant en soi pour démontrer qu'un parti politique est susceptible de jouer un rôle important dans l'élaboration des politiques publiques en remportant des sièges. Par exemple, un examen des résultats électoraux montre que même si un parti politique présente plus de 170 candidats, il ne parviendra pas nécessairement à obtenir plus de 2 % des voix et à remporter un siège au Parlement. La Commission conclut que ce paramètre mesure la capacité relative d'un parti à s'organiser et à présenter des candidats, mais ne permet pas de déterminer si celui-ci est susceptible de jouer un rôle important dans l'élaboration des politiques publiques en remportant des sièges.

D. Incidence des critères de participation : Exercice de proportionnalité

La Commission reconnaît que ses critères excluront certains dirigeants politiques des débats. Toutefois, elle ne pourrait pas inclure les chefs de tous les partis politiques sans nuire à son objectif prévu par la loi, qui est d'organiser des débats informatifs et efficaces bénéficiant de la participation des chefs dont le parti a le plus de chances de participer aux débats d'intérêt public à la Chambre des communes en remportant des sièges.

La Commission a examiné les données selon lesquelles l'exclusion des partis politiques de moindre envergure améliore l'efficacité, l'attrait et la nature informative des débats. La Commission Lortie a souligné l'importance de trouver un équilibre entre « les revendications d'équité et les aspects pratiques de l'organisation de débats efficaces, attrayants et informatifs, ainsi que le droit des électeurs de disposer des renseignements nécessaires pour faire un choix clair parmi ceux qui ont une chance de former le gouvernement ». Elle a pris note des observations qui exprimaient le souci qu'un trop grand nombre de participants réduise l'utilité et l'attrait du débat pour les électeurs. La Commission des débats des chefs partage ces préoccupations.

Elle a aussi pris en compte le fait que les principaux partis politiques peuvent choisir de ne pas participer à un débat qui réunit une douzaine de participants ou plus, dont la plupart ont peu de chances de succès électoral. Un tel résultat saperait l'un des principaux objectifs des débats des chefs, à savoir la présence des chefs des partis politiques les plus susceptibles de devenir premier ministre.

Par ailleurs, comme nous l'avons vu plus haut, la Commission a choisi des critères qui fixent un seuil minimal dont le respect ne serait pas trop contraignant pour les partis politiques émergents. Cette mesure permet de s'assurer que les partis politiques susceptibles d'avoir une voix au Parlement participent aux débats des chefs, afin que les électeurs puissent examiner leur programme et le comparer à celui des autres partis et ainsi prendre une décision éclairée.

Enfin, la Commission a examiné une suggestion selon laquelle elle devrait organiser un débat secondaire pour les autres partis politiques qui ne sont pas invités à un débat des chefs de premier palierNote de bas de page 1. Le mandat de la Commission, énoncé dans le décret, est notamment « d'organiser un débat des chefs dans chaque langue officielle au cours de chaque période électorale d'une élection générale » et, à ce titre, elle ne peut acquiescer à cette suggestion et organiser un troisième (ou quatrième) débat.

V. Conclusion

Pour être invité par à participer aux débats des chefs, le chef d'un parti politique doit répondre à l'un des critères suivants :

i) à la date du déclenchement de l'élection générale, le parti est représenté à la Chambre des communes par un député qui a été élu en tant que membre de ce parti; ou

ii) les candidats du parti ont obtenu lors de l'élection générale précédente au moins 4 % du nombre de votes validement exprimés; ou

iii) cinq jours après la date du déclenchement de l'élection générale, le parti récolte un soutien national d'au moins 4 %, déterminé par les intentions de vote et mesuré par les principales firmes nationales de sondage d'opinion, en utilisant la moyenne des derniers résultats publiés par ces firmes.

En ce qui concerne le critère iii), la Commission sélectionnera les sondages d'opinion publique en fonction de la qualité de la méthodologie employée, de la réputation des firmes de sondage, ainsi que de la fréquence et de la pertinence des sondages effectués. Elle peut recourir à des conseils professionnels pour l'aider à sélectionner les principaux sondages d'opinion publique nationaux à utiliser pour l'application du critère et désignera les firmes de sondage sélectionnés à cette fin.

Après examen de l'ensemble des éléments, la Commission conclut qu'en invitant les chefs des partis qui répondent à l'un de ces trois critères, la participation de ceux qui sont susceptibles de jouer un rôle important dans l'élaboration des politiques publiques au Canada en remportant des sièges au Parlement sera assurée. Les critères sont simples, clairs et objectifs, et équilibrent la perspective d'examiner les succès électoraux réels et la possibilité de succès futurs.

Ces critères s'inspirent du système de gouvernement du Canada, de l'histoire du pays en matière de débats des chefs et des consultations menées auprès de ceux qui devraient participer aux débats dirigés par la Commission.

VI. Calendrier de prise de décision et prochaines étapes

La Commission prendra sa décision concernant les partis politiques qui répondent aux critères de participation au débat au plus tard six jours après la date du déclenchement de l'élection. Elle invitera ensuite les chefs de ces partis au débat. Un parti non invité aura la possibilité de demander à la Commission de réexaminer sa décision dans les deux jours suivant l'invitation aux chefs, et celle-ci prendra sa décision définitive à l'égard de ce parti dans les trois jours suivant la demande de réexamen. Des délais serrés ont été fixés pour s'assurer que le producteur des débats dispose de suffisamment de temps pour produire un débat de haute qualité, comme l'exige le décret, et que les partis politiques se préparent correctement aux débats afin de s'assurer qu'ils soient informatifs pour les Canadiens.

Date de modification : 22 juin 2021